Dissolution de l’IRSN : un danger pour la sécurité nucléaire

publié le 08 mars 2023 mis à jour le 11 mars 2023
source principale : article de Reporterre de Emilie Massemin du 16 février 2023 : Sûreté nucléaire : la dissolution de l’IRSN inquiète

C’est par des amendements (n°602 présenté le 25 février et le n°610 présenté le 26 février par le gouvernement et adoptés le 6 mars 2023) discrètement intégrés au projet de loi d’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (projet de loi n°762 , en procédure accélérée, adopté en 1ère lecture par le sénat le 24 janvier 2023), que l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) va disparaitre au profit de l’ASN (Autorité de Sécurité Nucléaire).

Normalement, un texte de loi est d’abord présenté à l’assemblée nationale, et ensuite au sénat. Mais pour faire en sorte que ce projet de loi passe plus facilement et plus rapidement, le gouvernement a décidé d’inverser la procédure normale, et de plus en procédure “accélérée” qui ne nécessite qu’une lecture par chambre (assemblée nationale et sénat) avant d’être adoptée.

Sur un sujet aussi important pour les citoyens et les générations futures, c’est un déni de démocratie de plus.

A noter que lors de l’examen du texte au sénat, seul les sénateurs et sénatrices écologistes ont votés contre, les socialistes et les communistes s’étant abstenus.

Pour rappel, ce projet de loi supprime le plafonnement à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique d’ici à 2035, les sites seront dispensés d’autorisation d’urbanisme, allégement des procédures administratives ou des dispositions environnementales (L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers ne sera pas pris en compte pour la construction de centrales nucléaires), le droit d’expropriation sera assoupli, suppression de la fermeture de réacteurs prévues (après ceux de  Fessenheim, 12 réacteurs devaient fermer) . Le tout en une semaine de débat, et le fait de passer d’abord par le sénat avant un vote à l’assemblée nationale est un moyen de plus pour faire passer ce projet : c’est open bar pour le nucléaire !
La promulgation de la loi étant prévue au premier semestre 2023

Les salarié.e.s de cet organisme ont été avertis au dernier moment le 8 février par leur direction, juste avant que le communiqué du ministère de la Transition énergétique arrive quelques heures plus tard.

François Jeffroy, délégué syndical CFDT à l’IRSN : « Qu’est-ce qu’on nous reproche ? Rien. Aucun argument précis pour justifier cette sanction ultime : vous disparaissez. »

Avec la fusion de l’IRSN avec l’ASN il n’y aura plus de séparation entre l’expertise et le contrôle, comme le déclare Yves Marignac (association Négawatt) :

L’intention est clairement, dans la continuité du projet de loi d’accélération du nucléaire qui assume de chercher à “sécuriser juridiquement” la mise en œuvre du nouveau nucléaire ou de prolongation, de lever l’obstacle d’exigences de sûreté trop élevées pour être atteintes par l’industrie

Cette décision a vraisemblement été prise lors du conseil de politique nucléaire du 3 février,
qui a eu lieu un an après le discours d’Emmanuel Macron à Belfort, où il avait annoncé la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 avant 2035.

L’IRSN a été fondé par décret en 2002. Parmi ses attributions, il aide l’ASN à prendre ses décisions en lui apportant une expertise technique indispensable.

François Jeffroy, délégué syndical CFDT à l’IRSN : « Quand un exploitant veut modifier une installation nucléaire, il envoie un dossier de sûreté à l’ASN. L’ASN saisit alors l’IRSN qui instruit le dossier, envoie des questionnaires à l’exploitant, visite l’installation… et rend un avis accompagné de recommandations »

Exemple : une installation nucléaire peut-elle fonctionner en toute sûreté en pleine canicule, alors que le mercure dépasse les 50 °C dans certains locaux ? « L’IRSN va rendre un avis sur, entre autres, la résistance des matériaux à des températures élevées. L’ASN, elle, va rendre une décision finale qui tiendra compte de cet avis, mais aussi d’autres paramètres : sécurité de l’approvisionnement en électricité, etc. », développe le syndicaliste.
Comme l’explique à Reporterre Thierry Charles, ancien directeur général adjoint chargé de la sûreté nucléaire de l’IRSN, ce système dual « permet à l’expert de travailler en toute liberté sur la base d’éléments techniques et scientifiques, puisqu’il ne subit pas le poids de la décision à prendre ensuite »

En clair un même organisme ne doit pas être juge et partie, surtout concernant la sécurité nucléaire.

Motion du COR de l'IRSN contre le démantèlement programmé de l'Institut

le Comité d’Orientation des Recherches (COR) de l’IRSN, à l’occasion d’une réunion extraordinaire du 6 mars s’est officiellement prononcé contre la démantèlement de l’IRSN. Voir ici son communiqué. des extraits de ce communiqué :
  • il existe de sérieux doutes quant au fait que l’ensemble des activités actuellement assumées par l’IRSN pourra être mené dans le cadre d’une Autorité Administrative Indépendante : saisines par des ministères, partenariats avec les opérateurs et exploitants, partenariats avec des professionnels impactés par la radioprotection, etc
  • la transparence des décisions prises constituent, avec la politique d’ouverture à la société, des acquis institutionnels incontestables que la réforme pourrait remettre en cause
  • les risques majeurs de perte de compétences dans des délais très brefs ne doivent pas être sous-estimés
  • Aussi, compte-tenu des conséquences potentiellement négatives sur le fonctionnement de l’organisation du contrôle et de la recherche en sûreté et radioprotection, le COR de l’IRSN appelle les parlementaires à refuser le démantèlement de l’IRSN

Communication de la commission d'éthique et de déontologie de l'IRSN

Fragiliser l’expertise nucléaire en démantelant l’IRSN ne contribuera pas à faciliter la
transition énergétique et écologique.

La commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN exprime son profond désaccord avec le projet de démantelement de l’IRSN dont les valeurs sont exprimées dans sa Charte d’éthique et de déontologie. Ces valeurs concourrent à la confiance dans la radioprotection et la sûreté nucléaire qui repose sur deux caractéristiques offertes aujourd’hui par l’institut : le lien fort établi entre la recherche et l’expertise ainsi que la séparation entre l’expertise et la prise de décision. Le projet envisagé à ce stade conduirait irrémédiablement à la disparition de ces atouts

Voir ici le communiqué complet

Avis discordants et liberté de ton

Une des raisons de la volonté de dissoudre l’IRSN dans l’ASN, est à chercher du coté de ses avis parfois discordants et sa liberté de ton. Dans son rapport publié en 2014, la Cour des comptes a pointé des actions de communication autonomes de l’IRSN qui posent des problèmes de principe comme «la publication par la presse des coûts d’un éventuel accident nucléaire sur la base de ses rapports», « ses prises de position récentes sur la politique énergétique de la France au regard des enjeux de sûreté nucléaire » ou encore « certaines déclarations du directeur général dans la presse sur l’état des centrales nucléaires françaises qui peuvent fragiliser l’autorité de l’ASN ». « On sent régulièrement une forme d’agacement de l’ASN par rapport à l’autonomie de réflexion de l’IRSN », observe Yves Marignac, expert nucléaire à l’association négaWatt.

Risque d'opacité accrue sur les décisions relatives au nucléaire

Jusqu’à présent, l’IRSN garantissait un minimum de transparence sur (presque) toute la chaine du nucléaire.
Avec cette réforme, cette relative transparence risquerait fort de disparaitre complètement avec un organisme qui se charge à la fois de l’expertise et des décisions.

Mais l’IRSN n’est pas exempt de reproches sur la transparence dont elle dit faire preuve :

un des exemples est les informations sur le coût d’un accident nucléaire décrites dans un rapport de 2012, ou le coût d’un accident nucléaire grave couterait 530 milliards d’euros. Non seulement, l’IRSN a mis plusieurs semaines à rendre public ce rapport, mais elle ne parlait pas d’un rapport de 2007 qui faisait état d’un coût de 5800 milliards d’euros.
Par ailleurs, la répartition des coûts décrites par l’IRSN ne met pas la priorité sur la protection des victimes potentielles, mais beaucoup plus sur les “couts d’images” dont la part dans le rapport de 2012 représente 40% « les pertes économiques à prévoir sur la non-vente de denrées ou autres biens de consommation parfaitement sains, du fait d’un boycott par les distributeurs ou les consommateurs […], les effets négatifs majeurs sur le tourisme […] et la réduction d’autres exportations »
Dans l’étude de 2007, pour l’IRSN, “la victime de l’accident, c’est l’économie française” (page 64 du rapport).
Pour l’IRSN , l’accident grave poserait moins un défi en terme de gestion des territoires contaminés que de communication : « l’impact sur l’opinion publique serait élevé, nécessitant une capacité d’excellence en termes de communication publique et de gestion, sur une longue période, de l’ensemble des moyens publics mobilisés. »
D’autre part, les études de l’IRSN ne se basent que sur un seul radioélément, le Césium 137, alors même que le “cocktail radioactif” projeté en cas d’accident, selon EDF, en contiendrait 747, dont certains sont bien plus dangereux et pour des périodes plus longues.
Cet exemple monte bien que la soi-disant transparence de l’IRSN est à tout le moins toute relative et les conséquences d’un accident nucléaire vu quasiment uniquement d’un point de vue économique et en terme d’image négative du nucléaire.

Liens :
https://www.sortirdunucleaire.org/Combien-coute-un-accident#nb2-9
https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20130326_Etude-IRSN-2007-cout-accidents-nucleaires.aspx#.ZAsSsh-ZPt8
Etude IRSN de 2007 : https://www.confluence-sortirdunucleaire.fr/wp-content/uploads/2023/03/IRSN_Etude-2007-Cout-Accident.pdf
Études IRSN/Eurosafe 2012 :
https://www.confluence-sortirdunucleaire.fr/wp-content/uploads/2023/03/IRSN-Eurosafe-FR-cout-accident-nucle_aire.pdf
https://www.confluence-sortirdunucleaire.fr/wp-content/uploads/2023/03/IRSN-Eurosafe_2012_-_Pre_sentation_Accident_majeur_-_v_FR.pptx

Les salarié.e.s de l'IRSN réagissent

Les salarié.e.s de l’institut ont mis en place une pétition pour appeler à maintenir l’IRSN : https://www.change.org/p/disparition-de-l-irsn

sources :

https://reporterre.net/Surete-nucleaire-la-dissolution-de-l-IRSN-inquiete

https://reporterre.net/Le-gouvernement-veut-pousser-les-reacteurs-nucleaires-jusqu-a-60-ans

https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20230306-motion-contre-demantelement-IRSN-par-COR.aspx#.ZAeGnR-ZPt8

https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20230215_CP_CED.aspx#.ZAeffx-ZPt8

www.lemonde.fr/blog/huet/2023/03/06/nucleaire-irsn-asn-la-fusion-contestee/

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/alt/DLR5L16N46622

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